Les pensées d'une étoile de mer (octobre 2015)
Je suis seul dans ma cuisine devant mon assiette de King Crabe avec une mayonnaise, des pommes de terre à l’eau et un petit savagnin blanc suisse qui s’appelle « Païen ». J’écoute une émission de France-Culture consacrée au véganisme. En un demi-siècle, mon rapport aux animaux a évolué : des cochons et des vaches élevés pour la viande dans la ferme de mon enfance où travaillait mon père jusqu’à ce King Crabe dont les pattes me regardent, en passant par les animaux de compagnie de ma mère, puis mes chats, j’ai observé, vu et compris qu’ils n’étaient pas des objets vivants, mais des sujets souffrants. Je suis depuis dans un rapport de compassion avec tous les animaux vivants dont l’oeil est une stupéfiante interrogation.
Derrière l’oeil du chien qui me regarde, il y a un monde dont je ne sais rien. Quand je plonge un peu, l’été, dans la Méditerranée, je retrouve les poissons, les poulpes, les étoiles de mer, les méduses et me demande ce que tout ce monde pense : je ne me dis pas, comme Heidegger, qu’ils sont « pauvres en monde », mais je me dis que, moi, je suis pauvre devant leur monde. Je ne sais ce qu’ils savent de leur monde ; mais, évidemment, plus que moi. Je suppose sans trop me tromper qu’ils ne savent pas qu’il existe un monde hors de l’eau et que, même, au-dessus d’eux, à dix mille mètres, il passe des avions avec des humains dans l’habitacle qui rejoignent deux continents dans les airs.
Et si nous étions dans la même innocence ? Nous n’en saurions pas plus sur ces mondes dont les astrophysiciens nous disent qu’ils pourraient communiquer par les trous noirs que cette étoile de mer qui méconnait ce qui se passe au-dessus de la pellicule de l’eau dans laquelle elle vit. Nous,...