La visite au grand écrivain (août 2010)
J’ai aimé, il y a peu, sacrifier au rite de la visite au grand écrivain en visitant Robert Misrahi dans sa maison du bord de Seine près de Rouen. J’y ai retrouvé, dès l’entrée dans la petite allée qui conduit à son domicile, le souvenir de pages consacrées à « la demeure de l’ici » dans le premier volume de son grand Traité du bonheur : Construction d’un château. Ce Traité se constitue de trois volumes qui sont, outre le premier, Éthique, politique et bonheur et Les actes de la joie. L’ensemble prend place dans une œuvre complète forte de presque une trentaine de livres, tous consacrés à définir une éthique post-chrétienne que, pour aller vite, on pourrait dire spinoziste.
Car Robert Misrahi, s’il est spécialiste incontesté de Spinoza auquel il a consacré nombre d’ouvrages clairs et judicieux, ne se contente pas de l’abord du professeur qu’il fut pendant trente années à Panthéon/Sorbonne, il franchit l’abîme qui sépare l’enseignant du philosophe en se demandant ce que peut signifier être spinoziste aujourd’hui. Autrement dit, il répond à la question : comment peut-on s’y prendre pour construire de la joie ?
Cet ami de Sartre, qui finança ses études, ne fut jamais dévot du sartrisme. Le jeune lecteur passionné de L’être et le néant a attendu en vain l’éthique annoncée par Sartre à la fin de son opus majeur. Puis il a proposé la sienne : une philosophie de la joie, très antinomique à la pensée de la nausée… Si l’existentialisme n’a pas de morale, Robert Misrahi, en philosophe existentiel, en construit une à l’aide de Spinoza – un rare modèle avoué par Sartre dans sa jeunesse…
J’aime cet homme droit qui n’a jamais faibli intellectuellement et a traversé le siècle – il est né en 1926- sans jamais souscrire aux délires qui, si souvent, enivrent la corporation...