Les folies philosophantes (décembre 2010)

L’âge aidant, je mesure combien finalement l’effet génération importe dans la construction d’une identité intellectuelle. Provincial ayant fait mes études à l’université de Caen, dans les années 70/80, j’ai eu droit à une brochette de professeurs qui étaient autant de symptômes des folies philosophantes de l’époque.

J’exclus quelques bras cassés n’ayant jamais rien publié et dont la présence dans l’institution relevait plus de l’intrigue syndicale que de la compétence scientifique ; même chose pour tel ou tel professeur de khâgne sévissant sur place, rendu translucide par l’ascèse luthérienne, bouchant les trous à des postes subalternes ; ou bien encore de tel curé défroqué reconverti dans la mystique alexandrine, gaulliste sous de Gaulle, mitterrandiste sous Mitterrand, sarkozyste aujourd’hui, mais toujours plein du ressentiment de devoir enseigner chez les ploucs bas normands alors qu’il avait rêvé toute sa vie de la Sorbonne, – tout en la jouant , bien sûr, sage antique détaché des contingences de ce bas monde…

Je pense aux marxistes, aux freudiens, aux lacaniens, aux structuralistes qui apportaient la bonne nouvelle philosophique en turbo train avant de remiser les bottes chaussées pour l’occasion au profit des escarpins enfilés rapidement dès la descente du train pour battre le trottoir parisien. Cette compagnie qui évoluait dans les sanctuaires de la capitale (ils avaient touché un jour, dit-on, qui Althusser ou qui Lacan, rendez-vous compte !) nous délivrait la bonne parole : le membre du parti communiste s’effraya un jour d’un incendie sur le toit du bâtiment d’en face, ignorant que les ouvriers frigorifiés pouvaient allumer un brasero sans qu’on ait à craindre un brasier dévorant toute la ville – il ignorait qu’en attendant la révolution pour laquelle il s’activait en commentant Marx qui commentait Hegel commenté par Althusser, un manœuvre pouvait souffrir du froid ; le maoïste qui traitait en janvier les freudiens...