La punition des petites âmes (mai 2010)

Je me souviens, quand, jeune étudiant en première année de philosophie à l’université de Caen, je prenais le train, le matin, très tôt, pour me rendre au cours. J’ai en tête et dans le corps le souvenir extrêmement précis du froid, de la qualité de la nuit, des éclairages jaunes qui, dans la gare, trouaient doucement l’obscurité du petit matin. Il y avait de la buée sur les vitres dans le compartiment du vieil autorail. Je lisais alors méthodiquement la philosophie antique. J’ai sorti de mon cartable l’édition de poche du Platon de François Châtelet. J’avais découvert l’homme, crinière blanche et demi-lunettes sur le bout du nez, en regardant une émission de Bernard Pivot.

Je me souviens aussi du moment où j’ai pris connaissance de cette idée de Socrate : mieux vaut subir l’injustice que la commettre. La chose me semblait très chrétienne, bien qu’antérieure de plusieurs siècles à l’aventure religieuse, et mon sang chaud d’alors (disons : encore plus chaud…) n’a fait qu’un tour. J’y voyais l’impératif catégorique du renoncement, de la soumission, l’invitation avec laquelle on justifie de prendre des coups sans rien dire, sans broncher, une situation ontologique qui, au bout du compte, donne l’impression que ceux qui frappent peuvent encore continuer et ce pendant longtemps.

Et puis, j’ai pu voir l’étendue des dégâts en matière d’injustice commise : elle fait la loi dans le monde commun et vulgaire, dans la trivialité du réel ; voilà pourquoi la justice doit faire la loi chez les philosophes.

A cette pensée socratique d’une extrême puissance, il faut ajouter cette autre idée considérable du Silène : nul n’est méchant volontairement. Là encore, imbibé par les lectures sartriennes de mes quinze ans, existentialiste à deux sous, je croyais que nous étions libres, que l’engagement était inévitable, qu’on ne pouvait pas ne pas choisir, que le...