Michel Onfray au Méridional: "Pourquoi je défends l'Arménie"
Le Méridional: Michel Onfray, pourquoi êtes-vous si attaché à l’Arménie et à son peuple?
Michel Onfray: Parce que c’est, comme je le dis souvent, un grand petit peuple qui a vécu un effroyable génocide et n’en a jamais fait un destin. C’est aussi parce que ce passé n’est pas seulement un passé mais également un présent: ce que l’Azerbaïdjan a récemment infligé à l’Arménie avec l’aide des Turcs est ni plus ni moins la suite à bas bruit de ce génocide qui continue… C’est enfin parce que ce qui advient dans cette région du monde annonce ce qui va se passer sur le terrain eurasien : le désir qu’a Erdogan de reconstituer l’Empire ottoman annonce clairement la venue d’un impérialisme musulman. L’Arménie est le premier temps de cette reconstruction impérialiste ottomane.
L.M : Vous avez intitulé le documentaire tiré de votre voyage là-bas «Arménie, un choc des civilisations». Le terme lui-même est-il une «expression-choc»?
M.O: Non, c’est une thèse réaliste et pragmatique que les tenants de la mondialisation libérale n’aiment pas parce qu’ils lui préfèrent la thèse idéologique et utopique de Francis Fukuyama qui affirmait qu’après l’effondrement du bloc marxiste, le libéralisme allait triompher de façon planétaire. Les tenants de cette utopie veulent transformer la planète en vaste supermarché. Ce qui suppose un effacement des pays, des peuples, des cultures et des civilisations au profit d’un monde de la chosification des êtres, des âmes, des cœurs et des corps. Le projet de reconstruire un empire ottoman, celui de Poutine qui veut reconstituer une grande Russie, celui des Chinois qui veulent redevenir l’Empire du milieu (sous-entendu du milieu du monde), celui de l’Iran chiite, témoignent que Fukuyama avait tort et Huntington raison. Nous inscrivons nos pas dans ceux de l’auteur du Choc des civilisations.
L.M: Que penser de l’indifférence des Européens face à...