Coronavirus: "Le courage est rare mais il est incroyablement répandu chez les personnels soignants"
Alexandre Devecchio: En ces jours éprouvants pour tous, quels grands esprits conseillez-vous de lire? Quels penseurs lisez-vous vous-même actuellement?
Michel Onfray: Pour penser la question du coronavirus, le mieux est d’avoir recours à Nietzsche, notamment à sa méthode généalogique. Le philosophe allemand aide en effet à penser la question des causalités dans une époque qui aime tant activer les catégories de la pensée magique. Les versions complotistes font rage, les lectures religieuses également: une invention du capital pour faire des bénéfices, une création des Américains pour supprimer la suprématie chinoise, voire un projet chinois, mais également, version du frère de Tariq Ramadan, une punition divine à cause du dérèglement des mœurs de notre époque, le délire ne manque pas. La philosophie aide à activer les causalités rationnelles construites par les philosophes atomistes, matérialistes et épicuriens de l’Antiquité. Quant aux auteurs à lire, c’est sans conteste vers la philosophie antique romaine, qui était une école de sagesse pratique existentielle, qu’il faut se tourner. Je songe à Plutarque et Lucrèce, Musonius Rufus et Sénèque, Marc Aurèle et Cicéron. Autrement dit: aux épicuriens et aux stoïciens.
AD: Cet événement est révélateur de la nature humaine: incivisme, égoïsme, pillage parfois, mais aussi solidarité, abnégation… La philosophie nous aide-t-elle à comprendre ces réactions?
MO: Sous l’influence des penseurs de la déconstruction, eux-mêmes issus des déterminismes marxistes puis freudiens, contre toute bonne logique, voire tout bon sens, la tendance lourde est actuellement à la négation de la nature humaine! Or, elle existe. Qu’on lise ou relise tout simplement La Fontaine, ou bien les moralistes français du Grand Siècle, le XVIIe, que sont La Rochefoucauld ou La Bruyère. Tout s’y trouve dit. L’épidémie ne nous apprend rien que le fabuliste français ne nous ait déjà enseigné - un fabuliste qui, ça n’est pas un hasard, avait pris...